Monde

Donald Trump: le père strict

Pour les philosophes Mark Johnson et George Lakoff, beaucoup de nos pensées sont basées sur des métaphores. Nos réalités sociales s’y calquent, et les renforcent. Et si Donald Trump n’était que la métaphore d’un père strict?

Économiser du temps, en mettre de côté pour faire place à des activités, le gaspiller à mauvais escient. Le «temps-argent» est l’une des Métaphores de la vie quotidienne que proposent Mark Johnson et George Lakoff dans leur livre du même titre. Pour les auteurs, les métaphores ne sont pas des figures poétiques vides, mais des façons de voir le monde. Une large part de nos concepts sont structurés métaphoriquement: «L’essence d’une métaphore est qu’elle permet de comprendre quelque chose (et d’en faire l’expérience) en termes de quelque chose d’autre» expliquent les philosophes.

Le pays comme grande famille

Dans leur livre, Lakoff et Johnson étendent leur étude de la métaphore à la manière dont nous avons tendance à percevoir un pays, c’est-à-dire bien souvent en le calquant à un schéma familial. On parle de «pères fondateurs», de «nos fils et nos filles» envoyées au combat en cas de guerre. Le mot patrie vient d’ailleurs du latin pater, qui signifie père. Les Américains parlent souvent de leur homeland, ou mère-patrie. Lakoff explique que «la vision conservatrice ou progressiste qui divise les États-Unis peut être comprise comme des valeurs morales englobées dans deux différents schémas de gouvernance familiale : La famille au parent réconfortant (progressistes) et la famille au père strict (conservateurs).

La famille Trump (Keystone)

Quel est le lien entre la structure politique et la famille ? Les métaphores de la vie quotidienne répond que la première forme de gouvernance que nous connaissons est la famille, et donc que nous comprenons les institutions gouvernementales comme nous comprenons les systèmes familiaux.

Le père strict

Dans la famille du père strict, comme la nomme Lakoff et Johnson, le père sait ce qui est mieux. Il sait discerner le bien et le mal et possède l’autorité ultime pour s’assurer que ses enfants et sa femme fassent ce qu’il dit. D’après Lakoff, beaucoup de conservateurs acceptent cette vision du monde et privilégient l’autorité paternelle. Lorsque les enfants désobéissent, il est dans le devoir moral du père de les punir de telle sorte à ce qu’ils ne recommencent pas.  À travers la discipline physique, ils doivent devenir forts intérieurement, et capable de prospérer dans le monde. S’ils n’y parviennent pas, c’est qu’ils ne sont pas assez forts, et méritent leur pauvreté. «C’est un raisonnement qui apparait souvent dans la politique conservatrice et méritocratique», explique Lakoff. La responsabilité est une responsabilité personnelle et non sociale. Ce que l’on devient nous appartient et la société n’a rien à voir avec cela. Chacun est responsable de soi-même.

Une famille de gagnants

L’expression «winning» (gagner) est récurrente dans le discours de Trump. Dans un monde gouverné par la discipline et la responsabilité individuelle, ceux qui gagnent méritent de gagner. Trump se plait à insulter ses adversaires et les qualifier de perdants : «en termes purement conservateurs, comme l’indique Lakoff, cela fait de lui un formidable gagnant qui mérite de gagner. La compétition électorale est une bataille. Les insultes qui piquent sont vues comme des victoires – des victoires méritées».

Pour le 45ème président des États-Unis, ceux qui gagnent méritent de gagner (Keystone)

D’après Lakoff et Johnson, la logique du père strict s’étend plus loin. L’autorité est justifiée par la moralité (celle du père strict) et, dans un monde bien ordonné, il devrait y avoir (comme il’y a toujours eu traditionnellement) une hiérarchie morale dans laquelle ceux qui ont traditionnellement dominé devraient dominer. La hiérarchie est la suivante : Dieu est au-dessus de l’Homme, l’Homme au-dessus de la nature, les disciplinés (et forts) sont au-dessus des indisciplinés (et faibles), les riches sont au-dessus des pauvres, les employeurs au-dessus des employés, les adultes au-dessus des enfants, la culture occidentale au-dessus des autres cultures, et l’Amérique est au-dessus des autres pays. La hiérarchie s’étend également : aux hommes qui se placent au-dessus des femmes, aux blancs au-dessus des non-blancs, aux Chrétiens au-dessus des non-Chrétiens, aux hétérosexuels au-dessus des homosexuels. On remarque ces tendances non seulement chez Trump, mais chez beaucoup des candidats républicains. «En général, explique Lakoff, les politiques républicaines découlent d’une vision du père strict et de cette hiérarchie-là».

Des visions ancrées dans le cerveau?

Les philosophes concluent en s’appuyant sur les sciences neurologiques, et plus particulièrement sur la plasticité du cerveau dans l’apprentissage de concepts via le langage. En 1949, le neuropsychologue Donald Hebb stipulait que «les neurones qui s’activent ensemble se connectent ensemble». Pour Lakoff et Johnson, le simple fait de parler du monde active des points de vue sur le monde et les renforce, tout en affaiblissant d’autres points de vue. En parlant, nous créons le monde. Inversement, nos mondes intérieurs se dévoilent au fil que nous construisons nos phrases. Les métaphores de la vie quotidienne nous offre un regard non seulement sur le monde intérieur de Donald Trump – par la façon dont il s’exprime – mais sur la possibilité que nous avons, toutes et tous, de créer des mondes nouveaux par des narratives nouvelles, elles aussi.

Louis Viladent

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